Théologie et histoire/science des religions
Un point de vue
Note rédigée au printemps 2006
Il semble bien qu'à l'heure actuelle la relation entre la
théologie et l'étude universitaire des religions soit assez
conflictuelle. Je constate en effet un certain militantisme du
côté des professionnels de l'histoire/science des religions
qui contestent aux théologiens le droit, voire même la
qualité, d'étudier des religions autres que la chrétienne. Le
théologien, affirment-ils, percevra immanquablement tout
phénomène religieux à travers le prisme de ses propres
convictions religieuses, alors que l'étude universitaire exige
une totale mise à distance de l'objet de recherche et une
analyse strictement « objective, sans parti pris »
de ce qu'on observe. Ce jugement repose sur une fâcheuse
méconnaissance du travail de la théologie. Celui-ci consiste
en effet exactement en cette fameuse « mise à
distance » de l'objet de la recherche : les textes
bibliques, l'histoire des institutions religieuses dans leurs
rapports avec le monde ambiant, l'histoire de la pensée
chrétienne et de ses imbrications avec la philosophie,
l'histoire de la piété et du sentiment religieux et ainsi de
suite, tout est scruté selon les critères habituels du travail
académique. La théologie se présente en effet comme une
histoire universitaire de la religion chrétienne,
donc comme une partie de l'histoire générale des religions.
Elle se situe, à côté l'étude des religions, dans le grand
ensemble de la Kulturwissenschaft.
En étudiant, dans le cadre de l'université, un phénomène
religieux quelconque, le théologien appliquera scrupuleusement
la méthodologie qu'il a toujours appliquée :
interprétation rigoureuse, philologique, sémantique et
historique, des textes et autres documents ; effort de
reconstituer sans parti pris et aussi objectivement que
possible des systèmes de pensée ; observation,
description et tentative d'interprétation bienveillantes, des
rites et autres manifestations de la vie communautaire. Qu'il
s'occupe du christianisme, de l'islam, du bouddhisme, d'un
« nouveau mouvement religieux », d'une secte, de
l'astrologie ou du tarentisme des Pouilles, le théologien
reste toujours fidèle à sa méthodologie universitaire.
Toutefois, les sciences universitaires trouvent leur
signification – et leur justification – non seulement dans
l'étude « objective » des faits sociaux et
culturels : elles visent une finalité éminemment
pratique. Les sciences humaines comme les sciences de la
nature sont des acteurs dans la vie sociale. La psychologie,
la sociologie, la philosophie interviennent et donnent de la
voix, partout où cela est possible ou nécessaire. Ces sciences
deviennent des autorités qui éclairent, interprètent, donnent
leur avis, tranchent en cas de désaccord, conseillent et
guident les humains. Or, ce qui est considéré comme nécessaire
et normal pour la psychologie ou la sociologie, doit aussi
être concédé à la théologie. A l'instar de ces sciences
humaines, elle a aussi pour vocation d'éclairer, de trancher
en cas de doute, de conseiller et de guider. Ce qui peut
signifier, concrètement, pour donner un exemple, qu'elle
mettra peut-être en évidence les différences entre le
christianisme et le bouddhisme et qu'elle indique les raisons
qui font qu'elle donnera la préférence au premier. Il est
illogique de disqualifier les théologiens pour l'étude des
religions parce qu'en quittant l'université pour travailler au
sein de la société, ils se sentent appelés à faire fructifier
leur savoir pour le bien de leurs semblables.
Il se peut également, et cela est une réalité courante, que
le théologien, fort de ses recherches dans le domaine des
religions, soit convaincu de la nécessité d'une rencontre des
religions, qu'il prône un dialogue interreligieux universel,
qu'il cherche des points de convergences, sans dissimuler les
obstacles, qu'il soit un pilier de paix entre les
civilisations. Mieux il est formé dans les deux domaines de la
théologie et l'histoire/science des religions et mieux il est
informé de ce qui se fait dans les deux, mieux aussi il sera
équipé pour devenir une bénédiction pour la société.
En fin de compte, théologie et histoire/science des
religions ne font qu'un. Elles essaient de cerner et de mieux
comprendre le fait religieux, pour le bien de tous. Et
renonçons à la vaine et fausse polémique que l'une
travaillerait avec des présupposés inadmissibles alors que
l'autre en serait exempte.