Carl-A. Keller


Que Dieu ouvre votre cœur à sa lumière
pour que vous sachiez quelle espérance
vous donne son appel (Eph. 1:18)


 
Professeur Carl-A. Keller, Le Mont sur Lausanne
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  Religion - Spiritualité - Mystique

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L'essence mystique du christianisme

Conférence, 3 décembre 1999, dans le cadre de l'Artimon (Lausanne)

Introduction

Tout le monde connaît le célèbre aveu de saint Augustin, évêque de Hippone (354-430), au début de ses Confessions "Seigneur, tu nous as créés pour toi, et notre coeur est inquiet en nous jusqu'à ce qu'il repose en toi". C'est une affirmation d'ordre anthropologique d'une portée considérable. L'être humain ne trouve sa plénitude qu'en Dieu, c'est-à-dire dans la Source de toutes choses à Laquelle il doit son existence. En son état naturel, l'être humain est incomplet ; il lui manque toujours quelque chose. Il y a en lui une béance qui demande à être comblée. Cette béance est congénitale. Elle est voulue par son Créateur, par la Source de la vie qui l'a produite. Et elle ne saurait être comblée que par la Source de la Vie elle-même.

Nous sommes ainsi faits que nous nous sentons incomplets et que nous cherchons la Vie qui nous rendra entiers. D'innombrables chrétiens ont fait écho à l'affirmation de saint Augustin. Elle est devenu l'expression classique et universelle de la perception chrétienne de l'être humain. Tous les chrétiens, quelle que soit leur confession ou leur appartenance ecclésiale, s'y retrouvent. Par exemple Jean Calvin, fidèle élève du Maître de Hippone. Au début de son Catéchisme Calvin demande en effet : "Quelle est la principale fin de la vie humaine ?" Et il répond : "C'est de connaître Dieu". Notre constitution naturelle d'êtres humains demande à s'accomplir par et dans la connaissance de Dieu. Le sens de la vie, c'est d'établir la communication avec la Source de la vie ; c'est de laisser couler en nous l'Eau de cette Source ; c'est de plonger dans la Source, c'est de s'y abîmer.

C'est de ce Plongeon dans la Source de la Vie qu'il va être question ce soir.

1. Un exemple biblique

J'aimerais commencer par vous rappeler un incident de la vie de Jésus que nous rapportent les Evangiles. C'est l'histoire d'un homme riche (l'un des évangélistes ajoute qu'il était jeune) qui accourt subitement et s'agenouille précipitamment devant Jésus. Il est poussé par l'urgence d'une question qui le tourmente : "Bon Maître, que dois-je faire pour vivre éternellement ?" Le Maître met immédiatement les choses au point : "Que m'appelles-tu bon ? Nul n'est bon, la bonté ne réside qu'en Dieu, en l'Etre infini et parfait". Implicitement, Jésus répond tout de même à la question. Car demander à vivre éternellement, c'est demander à vivre en Dieu, c'est chercher l'Origine, la Source de toutes choses. Après cette mise au point, Jésus relève le défi et engage le dialogue : "Tu connais la Loi de Dieu", dit-il à l'homme qui vient de l'interroger, "observe-la, soumets-toi à la volonté de Celui qui est infiniment bon et qui ne connaît ni début ni fin !" Recevant cette injonction, notre homme riche ne peut s'adresser aucun de reproche : la Loi de Dieu, la Thorah, il l'a respectée depuis son enfance. Par conséquent, son inquiétude devrait être calmée, car il peut être sûr de vivre éternellement. Mais non, il n'est pas satisfait. Il y a en lui une béance qui n'est pas encore comblée. Sa soif de plénitude et d'éternité n'est pas étanchée. Il sent qu'il lui manque encore et toujours quelque chose. Mais quoi ? Il lui faut encore quelque chose pour combler son vide. A ce moment, l'évangéliste Marc fait une remarque significative : Jésus aime cet homme. Jésus crée un lien d'amour qui l'unit à cet homme qui cherche l'éternité. Et Jésus de dire ouvertement ce qui pourrait encore s'ajouter au respect de la Loi : "Va, vends tout ce que tu as, distribue l'argent aux pauvres, et suis-moi !" Ce qui comble le vide, c'est la plénitude de l'Amour qui liera intimement et à jamais Jésus, la Source de la Vie, et l'être humain qui souffre de sa béance. Suivre Jésus, s'unir à lui dans la nudité d'une existence dépouillée... Hélas, l'homme tourne les talons, en tristesse, car il ne peut pas se séparer de ses biens.

Qu'est-ce que ce récit nous apprend ? Deux choses. Tout d'abord, que cet homme très riche, mais honnête, impeccable du point de vue de la Loi, qui possède toute richesse matérielle, sent qu'il n'a pas encore la plénitude de la vie. Qu'en dépit de son statut enviable il cherche encore autre chose. Il sait que son coeur est inquiet en lui, mais il ne sait pas pourquoi. "Que dois-je faire" se demande-t-il. – Mais ensuite, et surtout, le récit nous apprend qu'il existe deux types de vie religieuse : celui de la pratique élémentaire, et celui de la pratique parfaite. Les deux sont parfaitement valables. Jésus n'en dénigre aucune, il précise au contraire qu'aux yeux de Dieu la pratique élémentaire est suffisante. Ce que Dieu souhaite, c'est qu'on se soumette à sa volonté. Jésus ne condamne pas non plus la richesse. Il agrée toute personne riche dont le comportement répond aux règles élémentaires d'une conduite religieuse de la vie. Toutefois, à côté de la pratique élémentaire Jésus en fait apparaître une autre, plus intégrale, plus conséquente. Elle consiste à se sentir aimé de Jésus, à renoncer à tout support matériel de l'existence, à ne connaître que Jésus en lui accordant une confiance sans limites, et à se donner totalement à Lui. Si la pratique élémentaire maintient une certaine distance entre le Divin et l'être humain, la pratique avancée et parfaite, elle, mène à l'union. Car Jésus et son disciple totalement dévoué ne finiront par ne faire plus qu'un.

Il existe donc plusieurs types de pratique religieuse, divers modes de vie chrétienne, tous légitimes. Ils se distinguent par le fait que tous ne comblent pas au même degré la béance dans l'âme de l'être humain.

2. Les niveaux de la pratique religieuse

Voyons cela un peu en détail.

Comment combler le vide qui nous rend incomplets ? Comment effectuer le plongeon dans la Source qui assurera la plénitude de notre être ? Comment établir le lien avec la Source de la Vie ? La réponse des traditions religieuses est unanime : C'est par la pratique religieuse. Car la pratique religieuse ne se définit pas autrement : c'est la tentative – et la possibilité ! – de vivre une relation aussi étroite que possible avec la Source de la vie.

J'ai souvent entendu dire que seuls les faibles ont besoin d'une pratique religieuse, ceux qui n'arrivent pas à vaincre les problèmes de la vie par leur propres efforts ou grâce à leur intelligence, donc les paumés et les demeurés. Nous venons de préciser que l'être humain en tant que tel, dans son état naturel, est paumé parce qu'incomplet. C'est pourquoi la pratique religieuse s'offre à tous. Par le passé, ce sont les meilleurs parmi les humains qui ont été religieux, qui ont pratiqué le contact avec la Source. Les institutions religieuses, la communauté religieuse, l'enseignement que la communauté dispense, les rites qu'elle exécute, les conseils que donnent ses membres particulièrement compétents, parce qu'instruits et expérimentés – tout cela est à disposition de quiconque désire renouer avec la Source de la Vie. Pratiquer une religion, c'est se servir de l'institution religieuse afin de s'ouvrir aux épanchements de la Source.

Or, il y a diverses manières d'utiliser les institutions d'une tradition religieuse donnée, par exemple chrétienne. A côté des deux que nous venons d'esquisser, il y en a peut-être encore une troisième. Mais précisons tout de suite qu'il ne s'agit pas toujours de types clairement séparés. C'est plutôt un continuum et le pratiquant passe souvent imperceptiblement de l'un à l'autre. Pourtant, il semble possible de définir des "types idéaux" qui permettent de mieux saisir ce qui se passe dans la vie religieuse.

a) Comme je viens de le faire à propos de l'histoire de l'homme riche, je nomme le premier type "pratique élémentaire", ou "pratique générale". C'est la pratique des débutants. Elle consiste à participer activement aux manifestations de l'institution chrétienne : à étudier ses enseignements, à s'intégrer aux activités rituelles – culte, messe –, à prononcer des prières, à écouter des sermons, à s'engager dans tout effort apte à promouvoir les valeurs chrétiennes et à administrer les affaires de la communauté, à respecter ses principes moraux et à regretter tout écart, bref, à être un chrétien qui essaie de se conformer aux exigences de l'institution ecclésiale.

A ce niveau-là, niveau élémentaire, la pratique est souvent considérée comme essentiellement communautaire, voire communautairement identitaire. On a le sentiment que l'institution religieuse, notamment la structure paroissiale, ainsi mise en valeur, sert à affermir les liens qui unissent les membres entre eux, à approfondir et à cimenter un sentiment d'appartenance, à stimuler l'entraide des membres en cas de nécessité et à cultiver des relations d'amitié. Parfois on lui attribue aussi, à juste titre, une fonction culturelle. Une telle orientation de la pratique chrétienne, à ce niveau élémentaire, est sans aucun doute valable ; il faut se garder de la ridiculiser.

Mais au-delà des effets communautaires qu'on vient d'évoquer la pratique chrétienne élémentaire vise malgré tout encore autre chose : l'établissement de communications avec la Source de la vie, avec le Christ. C'est même son premier objectif. Se contenter de la dimension intra-communautaire, c'est en quelque sorte abuser des rites, de l'enseignement et de l'organisation ecclésiale. C'est aussi courir le risque d'être instrumentalisé par les détenteurs du pouvoir, que ce pouvoir soit d'origine communautaire ou extracommunautaire. Il faut nuancer et compléter ce regard introverti et narcissique, assez largement répandu de nos jours, qui n'a souci que de conserver l'institution et de la tenir bien au chaud.

Le premier objectif de l'institution est, nous l'avons dit, d'établir le contact avec le Christ vivant, avec la Transcendance qui dépasse l'institution tout en s'y manifestant. Par les rites – messe, culte etc. –, la communauté, répondant à l'invitation du Christ, Source de la vie, communique avec Lui, s'unit Lui et s'ouvre à son influence vivifiante. Par l'enseignement, assuré par des personnes reconnues compétentes, la communauté explicite les conditions et les modalités de la communication avec la Source, et lors de la prédication qui déborde le cadre d'un enseignement, elle va jusqu'à vivre cette communication comme un sacrement. Quant aux fonctionnaires de la communauté, les diacres, les pasteurs, les prêtres etc., ils sont les manchons de secours qui étanchent une conduite avariée qui empêche l'eau de la Source d'abreuver et de rafraîchir les fidèles.

b) Quand, au niveau élémentaire, le premier objectif de la pratique religieuse est gardée en vue et que le contact avec la Source est établi, on peut observer un glissement de la pratique qui, d'élémentaire qu'elle était, s'approche peu ou prou du deuxième type : la pratique spécifique qui est celle des progressants. Elle est spécifique dans le sens qu'elle se détache de plus en plus des éléments extérieurs et généraux de l'institution ecclésiale et développe plus spécifiquement l'union avec les richesses intrinsèques de la Source, du Christ vivant. Une sélection s'opère parmi les membres de la communauté, le deuxième type de pratique exigeant un effort presque permanent d'intériorisation des données extérieures, effort que tous ne sont pas prêts à consentir.

Pour les pratiquants du deuxième type, la communauté et ses activités ne sont certes pas superflues, mais vécues d'une autre manière, plus spirituelle. En fait, la pratique religieuse tout entière se déroule maintenant essentiellement au niveau du spirituel. Le lieu de la rencontre avec la Source ne se trouve plus en un lieu géographique, distinct du pratiquant, dans un bâtiment appelé sanctuaire, avec son entourage, avec ses installations. Le temple du Christ se trouve désormais dans l'intériorité, c'est dans le "coeur" du pratiquant que la Présence et les bénédictions de la Source se font sentir. Le Christ lui-même le précise : "Le Règne de Dieu est au dedans de vous" (Luc 17,21). Les rites sont intériorisés, on les accomplit en son esprit ; les gestes et les paroles sont exécutés mentalement ; tout ce qui au premier niveau de la pratique était visible et palpable, est visualisé avec les yeux de l'esprit et palpé avec les sens spirituels. Si au niveau élémentaire on cherchait la Source souvent en dehors de soi, dans une Transcendance rejetée au loin, on la découvre maintenant au coeur de notre être et on y goûte comme au fondement de notre existence. Le Christ, Source de toute vie, jaillit du fond de nous-mêmes.

C'est dire – et c'est là le fait capital du deuxième type de pratique – que l'optique se renverse. Si au début de la démarche d'intériorisation l'esprit humain est encore actif, qu'il contemple le Christ, Source de la vie, comme une sorte d'objet et que dans son intériorité il met en scène des rites spirituels, cette attitude active se mue petit à petit en passivité. C'est le Christ vivant se manifestant au fond de l'être qui le prend en charge. Ce n'est plus la prière active, formulée ou mentale, qui anime ou ranime sa relation au Christ, mais la prière passive, celle que le Christ lui-même, par le Saint Esprit, fait naître dans l'intériorité du pratiquant. La contemplation active, celle qui scrute les Réalités ultimes comme on admire un beau tableau, devient contemplation passive, contemplation pure, absolue, affranchie de la dualité d'un sujet face à un objet. Plus il s'abandonne à cette passivité, plus aussi le pratiquant cesse d'être pratiquant, assumé et remplacé par le Christ vivant, Source de toute vie.

c) On s'achemine ainsi vers un troisième type de pratique chrétienne, la pratique qui n'en est plus une, la pratique qui est absence de pratique, puisque c'est la pratique que le Christ, la Source de la vie, accomplit dans le chrétien. C'est la pratique de l'union, c'est l'union tout court. On peut l'appeler "union mystique", c'est-à-dire cachée, invisible, mais d'autant plus réelle. Comme l'exprime l'apôtre Paul, s'adressant aux chrétiens de Colosses : "Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu, avec le Christ" (Col. 3,3). A ce niveau suprême, au niveau de la Source de toute vie, le chrétien accompli, mystique caché en Dieu, est effectivement mort à lui-même ; il n'a plus conscience d'une existence indépendante de la Vie. Il n'est plus qu'une goutte dans l'Océan d'Amour de la Source, qu'une cellule vivante intégrée au Corps vivant du Christ, Source de la vie. "Ce n'est plus moi qui vit, dit l'apôtre Paul, c'est le Christ qui vit en moi" (Gal. 2,20).

3. Réaliser l'essence mystique du christianisme

Le troisième type de pratique chrétienne, la pratique que le Christ lui-même accomplit dans le chrétien, doit être considéré comme l'essence du christianisme. Car comment définir autrement l'essence du christianisme qu'en la référant au Christ lui-même, la Source de la vie, le Fondement du toutes choses ? C'est ce que le mystique chrétien indien, le Sadhu Sundar Singh, a affirmé avec force : le véritable christianisme, c'est le Christ lui-même. Et à nous de compléter : l'essence du christianisme, c'est le Christ vivant, le Christ en qui toutes choses sont créées et qu'elles ont leur subsistance et leur cohésion, le Christ divin et plus que divin, le Christ, structure du Cosmos et plénitude originaire de l'être humain, bref, le Christ théo-cosmo-anthropique. Quand nous vivons en lui et qu'il vit en nous, quand nous atteignons la plénitude de notre être dans la vérité de cette réciprocité biblique (le Christ en nous et nous dans le Christ), quand le Christ réalise en nous l'union mystique, alors le Christ porte l'essence mystique du christianisme à sa perfection, en nous et à travers nous.

Nous avons essayé de tracer la voie qui conduit à la réalisation de l'essence mystique du christianisme. Elle commence par la pratique élémentaire, passe par la pratique des progressants, dans l'espoir de s'accomplir dans la pratique parfaite du Christ en nous. J'aimerais terminer cet exposé en suggérant quelques possibilités concrètes qui nous permettront peut-être de parvenir à l'essence mystique du christianisme. Nous n'oublions pas, en les proposant, qu'il s'agit non d'une théorie mis d'une pratique. La Voie n'est pas un sujet d'étude mais une invitation à la parcourir.

a) Un premier exemple : la pratique de la foi. En fait, la foi n'est pas l'assentiment à certaines affirmations d'ordre religieux, ou à des dogmes. C'est la confiance qu'on accorde à ces affirmations, le désir de se laisser guider par elles. Car le dogme, c'est-à-dire la description de la voie que Dieu nous dessine pour que nous puissions le rejoindre, description reçue et retransmise par la communauté des chrétiens, ne demande pas une soumission aveugle impliquant pour certains un sacrifice intellectuel, mais un acte de confiance et de courage prêt à se lancer dans l'aventure.

La pratique élémentaire de la foi/confiance consiste précisément à se lancer, à faire confiance aux rites qui promettent de nous mettre en contact avec le Christ, Source de la vie, à nous laisser porter par les rites au-delà du monde sensible vers la communion spirituelle avec la Source. La pratique élémentaire de la foi consiste aussi à faire confiance à la prière, à la prière d'adoration qui nous met en contact avec la Source, à la prière de supplication où nous exposons nos besoins et nos désirs à la Source de la vie qui seule est en mesure de les satisfaire, à la prière d'action de grâces, enfin, qui nous fait comprendre que tout ce que nous avons, dans le monde matériel autant que dans la spiritualité, n'est rien que grâce, cadeau, qui nous rappelle notre dépendance et qui requiert notre gratitude.

Quand la pratique élémentaire de la confiance passe à un niveau plus élevé – ou plus profond –, au niveau de la spiritualité ou des progressants, nous vivons en communion avec le Christ. Nous vaquons certes à nos travaux et nous assumons les responsabilités dont la famille et la société nous chargent, mais nous avons le sentiment que la Source de la vie nous accompagne et nous rend aptes à répondre aux attentes des autres. Au milieu de ces activités, nous prenons volontiers du recul ; en fermant les yeux nous nous mettons en rapport avec la Vie, nous remémorant la Parole du Christ nous promettant que les besoins et les désirs de celui qui fait confiance sont d'ores et déjà accordés.

Ainsi la confiance des progressants nous conduit petit à petit à la confiance pur qui est celle du Christ lui-même. Plus besoin de faire confiance ! la possibilité même de faire confiance nous est enlevée. Le Christ étant confiance en nous, nous ne sommes plus que confiance, mais confiance en lui, par lui et pour lui.

b) L'amour de Dieu. C'est un thème que les mystiques de toutes les religions, non seulement au sein du christianisme, ont abondamment analysé et pratiqué. Voici très rapidement quelques repères.

Tous les mystiques et tous les spirituels sont d'accord pour dire qu'au niveau élémentaire, le fidèle aime Dieu à cause de tous les biens qu'il reçoit de lui. A ce niveau, l'amour s'exprime par la joyeuse, amoureuse et reconnaissante participation aux manifestations de l'institution religieuse ou ecclésiale : aux rites, aux fêtes, à la vie de la communauté en général.

Au deuxième niveau, celui des progressants, l'amour pour Dieu est stimulé et porté à son sommet par la contemplation des beautés de Dieu et des clartés de son être divin. Le chrétien aimera à vivre, en une intimité grandissante, lumineuse et secrète de la Trinité, l'éternelle communion du Père et du Fils dans et par le Saint Esprit, la Source plénière de la Vie en Dieu.

Quand la pratique deviendra non-pratique parce qu'elle sera celle de la Vie divine, le chrétien sera enveloppé d'amour : il n'aimera plus parce que c'est Dieu qui aimera en lui et à travers lui.

c) Même progression en ce qui concerne la connaissance (ou n'importe quelle autre attitude morale ou religieuse).

La connaissance de Dieu, au niveau élémentaire : connaissance objectivante, à partir de l'enseignement reçu, ou des textes sacrés ou de l'expérience.

Niveau intermédiaire : connaissance théologique, intellectuelle. Connaissance lumineuse des grandes vérités de la tradition chrétienne. L'effort théologique est un exercice en spiritualité !

Niveau ultime : absence de connaissance discursive. Obtention de la Connaissance, de la Gnose, Connaissance pure, au-delà de l'opposition sujet-objet.

Cf. la prière du pasteur César Boissier (1808-1877) qui évoque merveilleusement le passage du niveau élémentaire jusqu'à l'union : (ancien Psautier romand no. 331)

« Je ne veux plus l'ombre qui passe, l'image qui pâlit
Mais la substance de ta grâce, toi-même, ton Esprit.

Je veux brûler, mais de ta flamme ; luire, mais de ton jour ;
Te ton âme animer mon âme ; aimer, de ton amour.

Voici le seul bien que j'envie, que j'implore, ô mon Roi :
Ne plus vivre que de ta vie, que par toi, que pour toi. »

Souhaitons que ces voeux se soient réalisés pour César Boissier. Et qu'ils soient formés, vécus et réalisés par beaucoup de chrétiens, aujourd'hui et demain.

 

 

©2006-2008 Carl-A. Keller

 

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